Nul doute que celui qui a inventé l’école n’avait probablement pas imaginé les difficultés qui ont présidé à la formation de celle que nous connaissons aujourd’hui. Pendant des siècles, le savoir est bien peu partagé, et si dès le moyen-âge des universités renommées voient le jour, il est réservé à une élite essentiellement masculine.
Il faudra attendre le XIXème siècle pour que cet état de fait change véritablement, grâce à diverses et nombreuses lois qui ont bouleversé l’enseignement.
L’École est alors un enjeu politique important, entre l’État et l’Église qui se disputent son organisation.
Il faut noter aussi, quand on parle de l’École, qu’il s’agit d’éducation et non pas seulement des bâtiments spécifiques qui lui seront dévolus ultérieurement. On fait alors la classe là où il y a assez d’espace pour installer les élèves (au besoin s’ils sont nombreux, on les entasse ..), au presbytère, à la mairie ou dans le logement particulier du maître. Un mobilier précis ne sera d’ailleurs obligatoire qu’à partir de 1887.
On peut retenir les dates les plus importantes :
– 1833 : La loi Guizot organise les prémices d’une instruction publique pour les écoles primaires de garçons, assurée par les communes, avec l’aide de l’État et de l’Église : la mairie doit fournir un local convenable à l’instituteur ( qui sert très souvent à la fois d’habitation et de lieu d’enseignement) et fixe le montant de son traitement, souvent formé des centimes additionnels *. Elle dispose également que les élèves dont les familles ne pourraient assurer le paiement de l’école soient accueillis gratuitement (le nombre étant fixé par le préfet…)
Peu d’enfants sont scolarisés, surtout à la campagne où on a besoin d’une main d’œuvre abondante et gratuite. L’instruction des filles est elle-même très peu concernée…
– 1850 : Loi Falloux, qui permet aux établissements libres d’obtenir un local et/ou une subvention de la commune, du département, de l’État.
– 1867 : Le ministre Duruy ouvre l’instruction primaire publique aux filles. Les communes de + de 500 habitants peuvent établir la gratuité absolue grâce aux centimes additionnels communaux.
– 1870 : L’arrivée de la IIIème république marque le début de la sécularisation de l’enseignement public.
– 1881/1882 : Jules Ferry révolutionne l’école publique : l’enseignement primaire devient obligatoire, laïc et gratuit pour tous (de 6 à 12 ans).
A La Ferté
La Ferté Imbault, petite commune de Sologne, suit le mouvement. L’école, comme bien d’autres sujets, sera le motif de nombreuses et parfois violentes querelles intestines entre les différents acteurs du village (mairie, curé, châtelain).
– En 1841, s’il y a une école communale, c’est à Selles St Denis, La Ferté Imbault n’étant que section de cette commune.
– 1845 : L’abbé Bommer, desservant à La Ferté Imbault, instruit son supérieur hiérarchique de son désir d’ouvrir une école, en présentant à l’École Normale son poulain, M.Vannier. Les tracasseries administratives mettent fin au projet.
– 1847 : L’abbé instruit quelques enfants et adultes. N’ayant pas de brevet de capacité (obligatoire pour enseigner) il est sommé par la préfecture de cesser son enseignement.
– 1849 : Distance oblige, seuls 8 enfants fertois fréquentent l’école communale de Selles St Denis.
– 1850/1851 : Mary Ann Howarth, épouse Kirby, organise une petite école pour les enfants des domestiques et journaliers travaillant au château.
– 19 août 1850 : ouverture de l’école libre de l’abbé Bommer, installée dans l’une des chambres du presbytère qu’il occupe dans l’île St Taurin (maison du Prieuré) dont son frère François Edouard ** (choisi par la mairie) est l’instituteur diplômé.
La classe est meublée grâce aux dons. Le nombre d’élèves augmente sensiblement : 70 enfants (garçons) et 14 adultes sont inscrits 6 mois plus tard.
L’école libre ne pouvant rémunérer suffisamment son instituteur, le manque de place et la réunion des garçons et filles n’étant pas autorisée, il écrit au recteur d’académie :
Considérant que répandre l’instruction et surtout l’éducation, c’est entrer dans les vues du gouvernement et que, et du reste, nous avons indistinctement tous droit à cet aliment des intelligences. L’instruction qui orne notre esprit et étend ses connaissances : l’éducation qui forme le cœur et redresse ses mauvais penchants.
En raison de ces divers considérants, nous vous prions, Messieurs, de vouloir bien prendre en sérieuse considération notre supplique et reconnaître la nécessité de changer l’école libre de La Ferté Imbault en école communale.
et à son évêque :
C’est dans ce but, que je désire voir reconnaître une école communale dans ma paroisse. Je sais qu’il serait à désirer de voir une école pour les garçons et une autre pour les filles ; mais, comment soutenir deux écoles, quand nous ne pouvons même pas en soutenir une ?
A sa demande, l’école libre est classée publique en 1853 et la réunion des garçons et filles autorisée.
Selon le décret qui fixe le nombre d’enfants admis gratuitement à l’école, une liste de 10 enfants est établie, conjointement avec la municipalité et le curé.
En 1854, une nouvelle école libre pour jeunes filles dirigée par Eugénie Bommer, cousine de l’abbé et épouse d’Alphonse Sainmont, premier instituteur public au village, est ouverte.
… elle élèvera une école libre dans la commune pour les jeunes filles au grand désir des familles notables des deux paroisses, nous attendons donc beaucoup de bien de cette école ; car si nous sommes déjà témoins du bon résultat de l’école existante, où il y a réunion des deux sexes, nous espérons au moins autant sinon plus de notre école de jeunes filles. L’éducation des jeunes filles ne peut être véritablement formée d’une manière avantageuse et utile que par la femme elle même. Les instituteurs, tout bons soient-ils, n’entendent rien à former le cœur et l’éducation des jeunes filles…
Mais, en 1857 :
Le premier octobre 1857, M. Alphonse Sainmont, instituteur communal et Madame Sainmont, sa femme, institutrice libre, furent nommés dans la commune de Thenay pour en diriger l’école. En conséquence de ce changement, les deux écoles de La Ferté Imbault furent réunies en une école mixte, réunion des deux sexes, et M. Charles Lesourd, élève de l’école normale de Blois, en fut nommé instituteur et prit possession le premier octobre.
1869 : une autre école libre est créée, mobilier et traitement à la charge de l’abbé, installée en 1876 dans une maison du centre du village et bientôt rachetée par le châtelain et futur maire, Auguste Fresson.
Si le curé ne tarit pas d’éloges sur ses deux institutrices religieuses, il n’en est pas de même pour l’institutrice laïque***, accusée en 1876, d’immoralité et de mauvais traitements sur ses élèves :
Caractère mou et indécis, sans zèle pour l’instruction, sans programme, sans méthode, sans emploi du temps : elle n’a rien de constitué l’institutrice. Aussi nos enfants perdent ils leur temps. Autant ils aimaient l’école autrefois ; autant ils la fuient aujourd’hui. Elle les éloigne par son peu d’attrait, par ses punitions intempestives et ridicules : telles que frapper, pincer les oreilles : mettre à la porte de la classe : donner jusqu’à 200 lignes à copier, faire avec la langue une barre sous 4 ou 6 carreaux : moyen de décourager les enfant et de leur faire haïr la classe.
Point de travail manuel dans la classe, elle prétend que c’est perdre le temps : point de politesse, peut-il en être autrement quand la maîtresse, soit bêtise, soit ignorance ne pratique pas elle même les premiers éléments de la civilité française.
Est-ce en faisant lire à nos enfants dans la mythologie : les histoires de Jupiter, Junon, Vénus, Apollon, Mercure et Bacchus, qu’elle formera leur cœur : pauvre fille, elle ne se doute pas de ce que c’est l’éducation d’une jeune fille !
Elle ne dépend dit-elle à ses enfants de personne ni du maire ni du curé, elle ne prend ordre que de son inspecteur. Aussi, nos enfants deviennent de plus en plus indociles, désobéissantes, menteuses, coquettes, car on porte la toilette ; mais, de religion, néant !! De surveillance en dehors de sa classe, point : aussi, dans sa cour, il se passe et se dit des choses que nous ne pouvons pas raconter.
Avec des institutrices laïques, pas de stabilité : pas de garanties morales : des jeunes filles qui viennent faire leur apprentissage pédagogique à nos dépends : en attendant des maris. Réclamez, pauvres paysans, vous voyez le cas que l’on fait de vos observations !
En 1882, l’école devenue obligatoire complique singulièrement la vie des parents et enfants éloignés du bourg :
La Noue commune de La Ferté Imbault
26 septembre 1882
Monsieur le Préfet,
La Noue, où je demeure est 7 kilomètres de La Ferté Imbault, à 7 kilomètres de Marcilly et 7 kilomètres de Selles St Denis.
On me demande que j’envoie à l’école ma petite fille âgée de 7 ans.
Cet enfant ne peut faire 14 kilomètres par jour et je vous prie de m’autoriser à ne pas l’envoyer à l’école tant qu’on n’aura pas fait une école de hameau à la Noue ou à Chardonnières.
Il me semble qu’on ne peut forcer un enfant de 7 ans à faire 14 kilomètres par jour.
J’ai confiance dans votre justice, Monsieur le Préfet, et je suis convaincu que vous m’approuverez.
Agréez, Monsieur le Préfet ….
L.Parfait
1885 : construction d’une école publique au hameau de Chardonnières
Il faudra attendre 1895 pour que la Ferté Imbault commence les travaux du bâtiment de sa future mairie-école qui sera inaugurée en 1898 et dont Gaston Percheron dont elle porte le nom, sera le directeur dans les années 1930. Raymond Bordes, maire du village et conseiller départemental donnera le sien au bâtiment construit ultérieurement.
1903 : Melle Lucie Poissonneau déclare à la mairie « son intention de diriger l’école primaire de jeunes filles et le cours d’adultes » dans un local appartenant à M. de Curel (propriétaire du château de la Place)
Autres lieux « d’enseignements »
D’autres écoles ont vu le jour au village. On trouve aux archives municipales des demandes d’autorisation pour une école privée à l’orphelinat Ste Françoise (Rothère), hébergée provisoirement en 1940 au château de la Fontaine Harlot, dite « maison d’éducation de jeunes délinquants et d’enfants en danger moral » en 1946 et pour « garçons arriérés » en 1947.
École publique, école libre … chacun d’entre nous a fréquenté l’une ou l’autre de ces institutions.
A tous les élèves de cette nouvelle année scolaire qui commence : Bonne rentrée !
* Les coûts de fonctionnement de l’enseignement primaire sont financés principalement par les communes et les ménages, mais également par l’État et les départements et pour un très faible montant par des dons et legs. Ces financements ont largement évolué sur la période 1855-1875 et leur répartition est très différente selon les départements. Il faut en effet bien noter que le financement de l’enseignement primaire dépendait en premier lieu des communes, si celles-ci étaient suffisamment riches elles pouvaient très fortement réduire la participation des parents, inversement si leurs ressources ordinaires étaient insuffisantes elles pouvaient voter trois centimes additionnels aux taxes locales. Si les ressources communales étaient encore insuffisantes les départements pouvaient également voter deux centimes additionnels et en dernier lieu il était fait appel à l’État pour concourir au traitement des enseignants. Ainsi plus la zone géographique est
riche, plus la part des communes est importante et inversement plus la zone est pauvre, plus la part de l’État est importante.
** François Bommer meurt le 18 mars 1851, remplacé par Alphonse Sainmont, qui deviendra ultérieurement instituteur de l’école devenue publique.
*** Le 29 mars 1877, l’institutrice est déplacée et nommée à Mur de Sologne.
Sources : Archives municipales de la Ferté Imbault, classeurs 15,16,16 bis.
Archives diocésaines de Blois
Journal de l’Abbé Bommer
Livre « les 4 Ferté »
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03394767/document
François Coillard, célèbre missionnaire protestant :« Enfance et jeunesse »